mercredi 29 octobre 2008

Songe du petit matin

Au petit matin, j’ai eu une belle conversation avec un poète. Un vrai poète. De la race de ceux qui ne se contentent pas d’écrire de belles rimes. Un poète qui vit dans une éternelle poésie. Je discutais avec lui justement à propos de sa dernière œuvre. Les gens. Ceux qui partent. Alors de fil en aiguille, le sujet en est arrivé aux voyages. Inconsciemment, probablement à cause de ma précédente lecture, je lui ai fait des confidences. Des choses si douces à ma mémoire et dont je ne parle jamais. Les vieilles histoires de mon grand-père. Nous parlions de la Gaspésie…

De tous les souvenirs que j’ai, les plus chers à mes yeux demeurent ceux de mon Papi chéri. Je me rappelle clairement un soir d’été. J’avais 6 ans et je trouvais tellement étrange que tous les membres de la famille aient les yeux bleus. Dans toute mon innocence je lui ai demandé pourquoi. Mon grand-père était un poète. Un vrai, lui aussi. Il m’avait tout simplement dit qu’autrefois, les gens de la famille, tous en Gaspésie, avaient tellement longtemps regardé le fleuve que la couleur était resté dans leurs yeux. Ne jurant que par sa parole, j’y ai cru. C’est fou, mais encore aujourd’hui je me plais a y croire encore.

Mes souvenirs se sont mis à remonter à la surface au fur et à mesure que je faisais découvrir notre poésie Québécoise à ce Français, admirateur de Rimbaud. Quoi de mieux que Nelligan. Combien de fois j’ai entendu le vaisseau d’or récité par la voix de mon illustre grand-père? Ça ne se compte pas. On m’a dit, en ce froid matin d’automne aux accents d’hiver, que pour être un vrai poète, il faut être né sous une écorchure. Quelle tristesse quand on constate que c’est vrai. Et plus les années passent, plus on est écorché. Il y a de ceux qui oublient. Certains diront que c’est mieux que de vivre dans les douloureux souvenirs du passé. Mais les plus douloureux souvenirs d’aujourd’hui ne sont-ils pas les plus beaux moments de jadis?

Je garde tout au creux de moi tout ce que l’on m’a légué. Une fierté de qui je suis, la poésie et la musique. Le sentiment profond qu’on me doit un pays. Mon pays. Là ou la langue des premiers arrivants est encore chanté et écrite. Ici, où on se bat pour rester debout, pour rester vivants. Où l’hiver est rude mais noël est blanc. J’ai en moi tous ces contes et ces fables. Ces chansons et ces images.

Mon écorchure, c’est le départ. Le départ de celui qui en fait, a façonné qui je suis aujourd’hui. Et ce que je serai demain. Un amalgame d’émotions et de rêves. D’espoirs et de contradictions…

« …Que je prends très souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la voix me console et dit : « garde tes songes;
Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous! » »

-Baudelaire